samedi 12 août 2017

Brocéliande contre le monde moderne

Notes pour servir à la constitution d'un Front Brocéliande contre le monde moderne
« J'ai revêtu plusieurs aspects 
Avant d'atteindre ma forme naturelle. 
J'ai été le fer étroit d'une épée 
(Je le croirai si je le revois) 
J'ai été une goutte dans l'air 
J'ai été une étoile scintillante 
J'ai été un mot dans un livre... 
J'ai été un tisonnier dans le feu 
J'ai été un arbre dans un fourré »
Câd Goddeu (Le Combat des Arbres)
« ... l'intuition, qu'il y a quelque vaste processus à l'œuvre qui réalise l'acmé de la création, l'entéléchie de toute lutte vitale, dans ces larges et fraîches feuilles d'extase magique, qui s'ouvrent et frémissent dans l'air invisible ».
John Cowper Powys
La forêt était vivante. Par les rumeurs, les grands gestes, les hauteurs mouvantes, les silences tapis, les lueurs vertes, les éclats soudains lorsque le soleil tombe, la forêt vive nous parlait. Nous étions, en quelque sorte, ses enfants. Nous aimions la verticalité de la forêt, les cimes perdues, presque indiscernables, les racines tels de gros serpents, l'humus, le pourrissement délicieux des feuilles. Les troncs, plus ou moins espacés, évoquaient de longues notes de musique qui finissaient par s'accorder dans le tumulte polyphonique de la forêt. Mais chaque arbre avait son message, sa présence propre. Les arbres ont de si fortes individualités que nous en oublions les essences et les espèces. Comme les humains, les arbres ont leurs histoires et, je m'aventure à l'affirmer, leurs consciences !
Je crois à cette individualité ancrée dans la terre et doucement vaguante, en son faîte, avec le vent, le ciel ! Je crois à l'individualité farouche des arbres, des terres, des animaux et des hommes. L'homme moderne ne reconnaît que ce qu'il peut classer dans quelque abstraite catégorie. Aussi bien, je ne suis pas un homme moderne. La densité de l'être, sa force, sa vertu, son bonheur témoignent de l'intense singularité de toute chose...

Cet arbre qui m'adresse un signe de bienvenue lorsque le chemin tourne et revient du côté du soleil n'a pas son égal et je me soucie fort peu de ce qu'en pensent les naturalistes. Il verdoie doucement dans l'air encore pâle d'Avril. Toute la mélancolie du renouveau bruit avec le vent venu des hauteurs qui retourne vers elles les paumes cendrées des feuilles, comme des mains, avec leurs nervures intelligentes. Cet arbre me salue quand je passe — mais il me semble que sa grande tâche est un colloque avec des présences que je ne vois pas mais dont la profusion architecturale des branches est le Temple. Les Tibétains croyaient que la symétrie attire les démons. Mais ils croyaient aussi à l'harmonie et à l'interdépendance universelle, et je vois ce matin qu'il n'est rien de moins symétrique ni de plus harmonieux que ce Temple feuillu...
Je veux bien être traité de panthéiste ! C'est en effet la grande manie des abstracteurs modernes. Pourtant, ce mot, pour moi, ne veut rien dire. Car ce que disent les arbres à mon entendement est d'un ordre trop subtil pour convenir à de grossières terminologies. Panthéiste ? Si l'on y tient ! Mais avec Plotin et Saint­-François, avec Taliesin et Novalis ! Je sais fort bien que la beauté — où s'unissent la transcendance et l'immanence — n'est pas omniprésente, que souvent la transcendance s'éloigne, et que l'immanence devient lourde en cet âge de fer. J'aime les arbres car ils nous enseignent la légèreté. Certes, les arbres ne volent pas mais ils accueillent les oiseaux, hôtes et protecteurs des libertés les plus fragiles. Il faut bien voir que les racines des arbres ne sont pas moins dans le Ciel que dans la terre. La plus haute branche est l'éloge ultime de la terrestre légèreté. Veulent-ils nous enseigner l'esprit ceux qui ne frissonnent point avec le souffle à la plus haute branche de leur désir ?

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