lundi 16 janvier 2017

Alexandre Devecchio : « La génération catho et réac est le miroir inversé de la gauche culturelle de mai 68 » partie 2

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Volontiers transgressifs, ils empruntent leurs références à la bibliothèque du christianisme comme à la librairie de la Révolution et citent avec le même intérêt Saint Augustin et Antonio Gramsci, Bernanos et Guilluy. Certains d’entre-deux, adeptes de la décroissance, vont jusqu’à cultiver le mode de vie baba. Gaultier Bès, figure de proue des Veilleurs, a même été à l’initiative de tentatives de rapprochement entre ces derniers et les zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Par ailleurs, l’influence idéologique de Michéa sur eux est bien réelle. Comme le philosophe montpelliérain, ils considèrent que libéralisme économique et libertarisme sociétal sont les deux faces d’une même pièce.
Revue des Deux Mondes – La génération catho et réac est-elle l’équivalent à droite de la gauche culturelle née de mai 1968 ? Quelles sont ses valeurs ?
Alexandre Devecchio – On peut même considérer qu’il s’agit de son miroir inversé. Défaite politique et victoire culturelle, le printemps de 1968 a consacré pour près d’un demi-siècle l’hégémonie idéologique de la gauche de consommation. Il en sera peut-être de même pour la Manif pour tous et la « droite de réaction ». Le combat a été perdu sur le plan légal, mais a cependant fait bouger les lignes et, dans la suite de ce mouvement social, les signes d’un changement d’époque se sont multipliés. L’effondrement politique du Parti socialiste en est un. Les phénomènes d’édition qu’ont marqués les livres d’Éric Zemmour, Philippe de Villiers ou Patrick Buisson en constituent un autre. Une floraison de mouvements, associations et revues est également née dans le sillage de la Manif pour tous. De jeunes essayistes et journalistes ont émergé du mouvement et participent à la recomposition idéologique en cours. Sur le terrain politique, Sens commun tente d’influer sur la droite et semble y parvenir avec brio. Sans le soutien de ce petit mouvement, la très large victoire de François Fillion aurait peut-être été impossible.

L’autre figure politique marquante de cette révolution conservatrice est Marion Maréchal-Le Pen à laquelle je consacre un chapitre dans Les Nouveaux Enfants du siècle. Son ascension dépasse ses qualités personnelles et politiques. Elle est aussi générationnelle. Marion Maréchal-Le Pen est « la Daniel Cohn-Bendit » de son époque, au sens du mai 68 conservateur décrit par Gaël Brustier. Il y a quatre décennies, Cohn-Bendit était la figure de proue de la révolution libérale-libertaire qui allait subvertir l’ordre gaulliste. Quarante ans plus tard, Marion Maréchal-Le Pen incarne la contre-révolution qui vient contester l’hégémonie progressiste. La benjamine du FN est de bout en bout une enfant du siècle : à la fois bambine de la bohème et apôtre de la famille, demoiselle moderne et égérie réactionnaire, héritière d’une lignée politique et incarnation d’un renouveau idéologique.
Revue des Deux Mondes – En quoi les réseaux sociaux et les nouvelles technologies ont-elles influencé voire structuré ces enfants du siècle ?
Alexandre Devecchio – Paradoxalement, cette génération est à la fois antimoderne et postmoderne. Les jeunes catholiques conservateurs partagent avec les jeunes islamistes ou djihadistes et avec les jeunes frontistes ou identitaires d’être des contempteurs impitoyables de la technique et des enfants gâtés de la révolution numérique. Ils dominent les réseaux sociaux, multiplient les blogs et les sites, même si là-encore, point de relativisme, tout ne se vaut pas. Leur aisance s’explique par le fait qu’ils sont nés avec ces nouvelles technologies. Par ailleurs, il leur a fallu exister hors des médias traditionnels globalement hostiles à leur discours. Durant la Manif pour tous, les jeunes militants étaient massivement présents sur Twitter pour contrecarrer la doxa officielle. Ils ont su depuis intégrer les codes de la société cathodique au point d’en avoir fait, pour certains, leur agora.
De manière plus inquiétante, les djihadistes sont dévorés par ces nouvelles technologies qui nourrissent leur fantasme de toute-puissance. Les prédicateurs des caves et des cages d’escalier ont été remplacés par l’imam Facebook et le Cheik Google, la génération Scarface a cédé la place à la génération GTA, et le terroriste artisanal au djihadiste 2.0. Dans le Far West virtuel qui leur sert d’univers, les sentinelles de Daech voient leur engagement comme un jeu vidéo passé en 3D où ils pourront enfin abattre à balles réelles leurs victimes comme on dessoude des avatars numériques dans Call of duty. Ces nouveaux enfants du siècle sont les créatures hybrides d’une idéologie barbare et d’une postmodernité horizontale.
Revue des Deux Mondes – Pour qui vont voter ces trois tribus en 2017 ?
Alexandre Devecchio – En 1989, le groupe de rock Bérurier noir chantait « la jeunesse emmerde le FN ». Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Elle vote au contraire significativement pour lui. Lors des européennes de 2014, le FN devient officiellement le premier parti de France chez les moins de 35 ans : 30 % d’entre eux ont voté pour les candidats du Rassemblement Bleu Marine. La tendance s’amplifie aux départementales et aux régionales de 2015. Les sondages en vue de la présidentielle de 2017 la confirment. Les jeunes qui votent FN appartiennent majoritairement à la génération Zemmour. Loin du cliché véhiculé par les médias de jeunes prolétaires peu éduqués et manipulables, ces « petits Blancs » sont divers. Ils sont pour la plupart issus d’un milieu modeste, mais beaucoup ont fait des études. Certains d’entre eux se sont même fait une place à Sciences Po comme je le raconte dans un chapitre du livre.
Le blogueur Hordalf Xyr, qui a voté Marine Le Pen en 2012 alors que dix ans plus tôt il manifestait contre son père, est emblématique de cette génération. « Fruit d’un Breton et d’une Italienne », le jeune homme à l’étrange surnom a grandi dans une commune de banlieue. Avant de poursuivre avec succès des études d’histoire, il est allé au collège et au lycée dans une ZEP (Zone d’éducation prioritaire) où il a eu pour « potes » Abdelkader et Saïd. Dans un texte partagé des dizaines de milliers de fois sur internet, Hordalf Xyr explique son tournant idéologique. Il faut le lire pour prendre la mesure de ces raisons. « Moi, je ne suis pas dans le “champ républicain” ? Je vous emmerde, la gauche. Je vous ai appartenu corps et âme assez longtemps pour avoir le droit de le dire, haut et fort. Je n’ai aucune leçon à recevoir de vous. Je ne suis pas le fils d’Hitler mais celui des jeunesses antiracistes. Je suis le fils de votre matrice […]. Je suis le zapping, Karl Zéro et les Guignols de l’Info, Jack Lang et Mitterrand. Vous m’avez fait, puis abandonné, je suis votre propre créature qui vous a échappé. Je ne suis que la dernière conséquence de votre racisme contre tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un Européen. Je suis une erreur dans votre système, je suis votre électeur FN », écrit-il.
Une partie des jeunes catholiques conservateurs se tournent également vers le Front national. Marion Maréchal-Le Pen pourrait être leur candidate naturelle. Elle a participé à chacun des défilés contre la loi Taubira. Elle a également été conviée à une réunion des Veilleurs à Versailles. Marine Le Pen, en revanche, ne fait pas l’unanimité auprès de cette génération LMPT. Son positionnement sur les questions de mœurs est jugé trop « libertaire ». Le discours de classe de Florian Philippot heurte également cette jeunesse, souvent socialement favorisée. Une partie d’entre elle pourrait donc se tourner vers François Fillon. Davantage pour son positionnement conservateur en matière sociétale que pour son programme ordo-libéral de réduction des déficits inspiré par Bruxelles et Berlin.
Les jeunes islamisés, quant à eux, ne votent pas. Ils forment une contre-société qui a fait sécession avec le reste de la France. Le Coran est leur constitution, la Charia leur programme. Fait notable, la jeunesse, autrefois structurellement de gauche, est désormais majoritairement opposée à l’idéologie libérale-libertaire née de mai 68.
Revue des Deux Mondes – Quel enfant du siècle êtes-vous ?
Alexandre Devecchio – Sur le plan sociologique, je me reconnais dans la « génération Zemmour ». Petit-fils d’immigrés qui ont fait un effort pour s’assimiler à la société française, fils de petits commerçants qui ont plutôt souffert de la mondialisation, j’ai grandi à Épinay-sur-Seine et fait mes études à Saint-Denis dans le fameux 9.3. Je suis ce qu’on appelle « un petit Blanc », un de ceux dont les parents ont été mis en accusation comme « beauf », « racistes » ou « islamophobes ».
Je me suis peut-être construit en réaction à ce discours. Si je n’ai pas participé aux défilés contre la loi Taubira, je pense que le combat contre la marchandisation de la vie mené par les jeunes catholiques est une cause noble qui n’a rien à voir avec la caricature injuste qui nous a été présentée dans certains médias. Si le mouvement de la Manif pour tous a peu mobilisé les classes populaires de la France périphérique, c’est pourtant avec les « petits Blancs » que les « néo-cathos » ont le plus d’affinités. L’écart social entre ces deux jeunesses est important, mais elles ont en commun les mêmes valeurs. Elles sont notamment unies par un même patriotisme et un même souci de préserver leur identité. Du rapprochement, ou non, entre ces deux jeunesses dépendra pour une part la possible traduction politique de la recomposition idéologique en cours.
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